27 avril 2025

Alors que l’usage de drones-kamikazes se répand sur de nombreux théâtres de guerre, du Haut-Karabakh à l’Ukraine, Haïti est à son tour en train de s’orienter vers cette option et l’utilisation de drones kamikazes par la PNH signe d’une évolution dans ce domaine où le pays a cumulé tant de retard. Aussi appelé « munitions rôdeuses » ou « téléopérées », ce type d’appareils peut voler avec plusieurs kilos d’explosifs et poursuivre sa cible, même si elle cherche à fuir.

Les véhicules aériens sans pilote (UAV), ou drones, sont employés dans une variété de fonctions et de rôles par des acteurs militaires ou violents. Du drone tactique de reconnaissance à ceux d’attaques, les avions sans pilote sont devenus les outils incontournables des conflits en cours. L’intelligence artificielle révolutionne l’usage des drones de combat, redéfinissant les stratégies militaires et les équilibres géopolitiques. Il en existe une variété de tailles, de types et de systèmes. Si ces innovations promettent des avancées décisives, elles posent aussi des limites techniques et éthiques majeures. Les drones peuvent représenter un risque, car ils sont très accessibles, peu coûteux, très adaptables et leur efficacité est redoutable. Dans sa définition la plus simple, le terme « drone » désigne tout véhicule piloté à distance. Alors que la plupart sont des véhicules aériens, il existe des drones navals et des véhicules terrestres télécommandés. La distance à partir de laquelle les drones peuvent être pilotés varie de quelques dizaines de mètres à plusieurs milliers de kilomètres, soit par une liaison de télécommunication directe, soit par une liaison par satellite ; dans certains cas, les drones peuvent également être préprogrammés pour fonctionner sans lien de communication.

Définition de la menace des drones

Le fait de mettre l’accent sur des systèmes d’armes spécifiques, comme les drones, comporte le risque de tomber dans le déterminisme technologique. Les groupes non étatiques n’utilisent pas les drones indépendamment des autres systèmes d’armes, mais plutôt de manière à renforcer leurs objectifs opérationnels et stratégiques car, contrairement à d’autres formes de puissance militaire, la puissance aérienne est traditionnellement associée au statut d’État et à la souveraineté. Les drones non étatiques constituent donc une incursion de groupes non étatiques dans les prérogatives des États souverains, non seulement sur le plan militaire, mais aussi sur le plan conceptuel et symbolique. Et en intégrant ces armes dans leur arsenal, les différents groupes ont pris conscience à quel point les drones peuvent façonner des situations stratégiques, politiques et tactiques.

L’utilisation des drones à des fins terroristes

Sept années se sont écoulées depuis que Raymond Thomas, commandant des forces spéciales américaines, déclarait que l’utilisation par l’État islamique (EI) de petits drones armés constituait le « problème le plus redoutable » pour les forces de la coalition dirigée par les États-Unis contre l’EI engagées dans la bataille pour Mossoul. Ce problème était aggravé par un « ennemi adaptatif » innovant pour acquérir des avantages tactiques. À bien des égards, ce problème n’a fait que de s’aggraver depuis lors. Thomas identifiait alors quatre caractéristiques principales qui expliquaient l’importance de cette menace. Tout d’abord, les drones de l’EI opéraient en dessous de l’altitude de la puissance aérienne américaine, défiant les efforts américains pour établir une supériorité aérienne. Deuxièmement, l’EI a développé de nouvelles tactiques, s’adaptant au mode de guerre des États-Unis et exploitant l’asymétrie des forces, obligeant ainsi les Américains à modifier leurs tactiques à leurs tours. Troisièmement, l’EI a employé la force du nombre, étant à un moment donné capable de faire voler soixante-dix drones au cours d’une période de vingt-quatre heures. Quatrièmement, les forces américaines et de la coalition se sont révélées incapables de mettre en place des contre-mesures sur le terrain, car « la seule réponse disponible était des tirs d’armes légères ».

Dans les années qui ont suivi l’avertissement de Thomas, l’utilisation des drones par des acteurs non étatiques violents a gagné en magnitude et en complexité. Le Mouvement houthi au Yémen a réussi à lancer des attaques majeures avec une régularité préoccupante, ciblant notamment le commandant des services de renseignement de l’armée yéménite avec un drone explosif en janvier 2019. Huit mois plus tard, des drones houthis ont frappé un champ pétrolier d’Aramco en Arabie saoudite, causant l’interruption temporaire de six pour cent de la capacité mondiale de production de pétrole. La multiplication des activités de drones par des groupes non étatiques au Moyen-Orient a donné lieu à des innovations dans les tactiques, techniques, chaînes d’approvisionnement et objectifs tactiques et stratégiques, ainsi qu’à une prolifération de nouveaux acteurs.

Les drones sur le champ de bataille : le cas du théâtre ukrainien

L’invasion de l’Ukraine par la Russie, le 24 février 2022, semble à son tour confirmer la rupture opérationnelle induite par l’emploi de systèmes autonomes aériens sur le champ de bataille. Entre 2019 et 2020, les effets tactiques et psychologiques des drones ont été observés à plusieurs reprises sur les théâtres syrien, libyen et du Haut-Karabakh. Les systèmes de reconnaissance et armés, majoritairement militaires, ont démontré qu’ils pouvaient constituer une aviation légère de substitution face à un adversaire conventionnel. Cela, néanmoins, dans un cadre opérationnel bien précis. En effet, la mise en œuvre de concepts opérationnels d’emploi adaptés, l’existence de dispositifs de défense robustes face à des dispositifs adverses insuffisants ont contribué aux succès militaires des systèmes sans pilote. Ainsi, leur association à des systèmes de guerre électronique et antiaériens a permis aux drones, relativement vulnérables au brouillage et aux systèmes sol-air, d’infliger des pertes importantes aux forces de Bachar Al-Assad, du maréchal Haftar et à l’armée de l’Artsakh, malgré le soutien de la Russie.

Récemment utilisés par l’Iran et par Israël, le recours aux drones télécommandés ou programmés est également quotidien sur le front ukrainien. Si les Américains peuvent investir 20 millions de dollars pour un MQ-9 Reaper, le Bayraktar turc coûte 10 fois moins cher et le Shared-136 iranien, 1000 fois moins. Pour économiser de l’argent et ne pas gaspiller leurs munitions traditionnelles, les combattants ukrainiens arment même des drones civils qui permettent une meilleure précision et visibilité de tir. Les drones restent souvent lents et peu solides mais, parfois envoyés en essaim, ils savent mettre à mal les systèmes de défense antiaériens, tout en limitant les pertes en vie humaine pour les armées recourant à ces avions sans pilote. S’il y a encore un homme derrière chaque drone, cela sera-t-il encore le cas demain ?

Un rapport de l’ONU daté du 8 mars 2021, a dévoilé l’utilisation d’essaims de drones kamikazes par l’armée turque. Ces robot tueurs volants ont été utilisés en Libye pour cibler et éliminer les troupes anti-gouvernementales du général Haftar. C’est la première fois que des armes létales agissant sans intervention humaine sont repérées sur un théâtre d’opération militaire. Ces engins de 7 kilos, équipés de programmes d’intelligence artificielle avec caméra et reconnaissance visuelle, volent en essaims, sans intervention humaine et sont conçus pour éliminer des combattants adverses grâce aux charges explosives qu’ils transportent. Le cauchemar du Terminator éliminant seul des cibles humaines préalablement établies est devenu réel. Malgré les déclarations de nombreux responsables politiques et militaires à ce sujet qui affirment toujours que les technologies de robots tueurs autonomes ne sont ni souhaitables ni utilisées par des armées, la réalité glaçante est désormais toute autre.

L’apprentissage automatique au service de la traque humaine

Le Kargu-2 est un drone qui utilise déjà la classification d’objets basée sur l’apprentissage automatique pour sélectionner et engager des cibles, les uniformes, visages, vêtements, types d’armes peuvent être programmés pour devenir des cibles sans qu’aucune intervention humaine en soit requise ensuite avec des capacités d’essaimage permettant à 20 drones de travailler ensemble. « Un essaim fonctionne selon la théorie des systèmes, ce sont des acteurs qui sont unitairement bêtes mais intelligents en groupe et ont comme logique, justement, de faire émerger une stratégie qui leur est propre. En interaction avec d’autres essaims, ils deviennent quasiment incontrôlables. Ils constituent d’ailleurs l’un des problèmes les plus aigus des systèmes d’armes autonomes. »

Les drones de plus grande envergure offrent cependant d’autres atouts. En plus d’une charge utile bien plus importante, leur plafond opérationnel leur confère une discrétion visuelle et auditive qui peut renforcer l’effet de surprise et faire planer au-dessus de l’adversaire et sur son moral une menace à la fois imperceptible mais réelle. Ensuite, les missiles embarqués présentent une meilleure réactivité : une Switchblade 600 peut atteindre 185 km/h en vitesse optimale tandis qu’un Hellfire peut aller jusqu’à Mach 1,3 (env. 1 500 km/h) et a une plus faible probabilité d’interception. Enfin, le prix d’une Switchblade 600 est estimé aux alentours de 220 000 $ (11) contre 70 000 pour un AGM-114. Dès lors, à nombre « d’opportunité de feu » équivalent, un drone General Atomics Mojave (16 Hellfire) est moins dispendieux que l’emploi de 16 Switchblade 600.

Les drones de combat à l’ère de l’IA

Depuis le début de la guerre en Ukraine en 2022, l’utilisation des drones autonomes est devenue un enjeu central au sein des champs de bataille modernes. Dans cette guerre des drones, les systèmes s’imposent au cœur des opérations de reconnaissance, de surveillance et de ciblage. Véritable symbole de puissance technologique et militaire, les drones impactent les infrastructures ennemies et peuvent changer l’issue du conflit. Dans cette course à l’armement, ce sont ces technologies avancées qui seront décisives, en particulier la robotique, la guerre électronique et l’intelligence artificielle (IA). L’émergence des drones de combat, combinée aux avancées rapides de l’IA, transforme profondément le domaine militaire. Initialement conçus comme de simples appareils téléguidés, les drones se sont métamorphosés en systèmes semi-autonomes capables d’accomplir des missions complexes.

Les enjeux techniques de la dronisation : la robotique et l’intelligence artificielle

L’essor des technologies liées à la dronisation repose sur deux piliers principaux : la robotique et l’intelligence artificielle. Ces avancées permettent d’envisager des missions autrefois impossibles, telles que le vol en patrouille, la reconnaissance autonome ou la navigation dans des espaces confinés sans assistance extérieure. Les chercheurs, industriels et centres militaires jouent alors un rôle clé. L’ambition est double : d’une part, garantir la souveraineté, la gouvernance, l’indépendance technologique et la pertinence tactique ; d’autre part, développer des systèmes intelligents basés sur des algorithmes avancés, intégrés à des plateformes peu coûteuses. Deux défis majeurs doivent être relevés : assurer la fiabilité des systèmes d’IA pour éviter des défaillances critiques et garantir leur traçabilité afin de comprendre et maîtriser les décisions prises par ces systèmes autonomes. L’intelligence artificielle joue donc un rôle clé dans l’évolution de la dronisation, agissant comme un programme de coordination sophistiqué pour gérer une masse d’objets en interaction dynamique avec leur environnement et leurs cibles. Pour autant, l’opérateur humain reste essentiel pour la coordination et l’intervention humaine nécessaire pour la décision à l’instant T. La planification des missions se fait donc en amont, avant toute intervention. Cela inclut l’attribution des cibles et la gestion des trajectoires.

Une coordination décentralisée

Chaque drone peut répartir intelligemment les tâches au sein du groupe. Cette approche garantit une répartition efficace des zones à couvrir et une adaptation rapide face aux imprévus. « Par exemple, s’il y a une zone à sécuriser avec six drones, chacun prendra en charge une partie spécifique » explique Anthony Larue, directeur IA chez Thales. Dans des missions où la réactivité est essentielle, cette collaboration entre drones s’avère particulièrement précieuse. Si un drone détecte une menace ou subit une défaillance, les autres ajustent instantanément leur trajectoire pour compenser. Cette coordination garantit la continuité des opérations malgré les obstacles. L’autonomie des essaims améliore également la rapidité d’exécution des missions et libère également les commandants qui peuvent alors se concentrer sur les décisions stratégiques. Les opérateurs humains, eux, évoluent vers un rôle de superviseurs, laissant les tâches tactiques aux drones autonomes.

Une efficacité tactique renforcée

Une étude du Département de la Défense américain en 2018, Swarm Weapons: Demonstrating a Swarm Intelligent Algorithm for Parallel Attack, révèle leurs potentiels tactiques. Selon cette étude, une attaque en essaim peut atteindre des objectifs militaires avec moins de ressources et réduire les risques pour les forces attaquantes. La force des essaims réside dans leur capacité à multiplier les attaques simultanées pour affaiblir l’efficacité des défenses adverses. L’intelligence artificielle renforce cette efficacité en répartissant divers rôles au sein des drones : reconnaissance, neutralisation ou leurres. L’identification des cibles et l’évaluation de défenses ennemies font partie des capacités clés de l’utilisation d’essaim de drones. « Ils ne se limitent plus à des missions préprogrammées. Désormais, [les drones] participent à la construction de plans d’intervention en temps réel ». Ces stratégies d’attaques massives et coordonnées, appuyées par des essaims intelligents, donneraient la priorité à la supériorité technologique et à une répartition optimale des rôles.

Quelles conséquences ?

L’intégration de l’intelligence artificielle dans les drones de combat marque une accélération notable de l’intensité des conflits. Les puissances militaires devront non seulement perfectionner leurs propres systèmes autonomes, mais aussi anticiper des contre-mesures face à des adversaires équipés de technologies similaires. La supériorité militaire ne dépend plus uniquement du volume des forces ou de la puissance de feu, mais aussi de la capacité à exploiter pleinement des outils tels que l’IA et les drones autonomes. Ces innovations participent à la course à l’armement, mais ne bouleversent pas les doctrines militaires puisque « Les drones autonomes enrichissent l’arsenal comme un outil parmi d’autres, au même titre qu’un missile ou un char ». Ces technologies, aussi avancées soient-elles, restent donc pour le moment un moyen parmi d’autres pour atteindre des objectifs tactiques.

Les drones ne sont plus réservés aux armées

Effectivement, leur usage s’est banalisé également pour des applications civiles, ce qui est très intéressant. Par exemple, les agriculteurs peuvent recourir à de petits drones, peu coûteux (à partir de 500 dollars), pour épandre des engrais de façon bien plus raisonnée. Le souci ? Ce sont ces mêmes drones qui vont être achetés par des narcotrafiquants ou des groupes terroristes et être détournés de leur usage. Les cartels mexicains par exemple se procurent des drones agricoles et remplacent les pulvérisateurs de désherbants par le même poids en grenades, à savoir 10 à 20 kg. Et plus proche de nous, la coalition criminel « Viv Ansanm » a maintes reprises a démontré sa capité de nuisance dans ce domaine, que ce soit dans l’attaque du plus grand centre carcéral du pays (pénitencier national) ou pour contrôler le trafic routier afin d’acheminer dans leur cachette les personnes kidnappées. Il est, aujourd’hui, presqu’aussi simple de fabriquer son drone en kit que de monter un meuble ! Vous pouvez aussi l’adapter à vos besoins particuliers avec une batterie qui dure plus ou moins longtemps, une caméra d’une résolution plus ou moins fine, une distance de contrôle variable etc…

Les drones sont-ils plus ou moins adaptés à certains conflits ?

On les retrouve désormais dans tous les conflits, mais ils sont particulièrement intéressants pour certaines configurations. Dans le cadre de la guerre contre le Hamas, les Israéliens peuvent les utiliser pour accéder à l’intérieur des tunnels. S’ils devaient uniquement envoyer des hommes à ces endroits, les pertes humaines seraient extrêmement lourdes.

Un drone aérien dédié au renseignement pourra rester en vol 24 heures, sans pilote à bord, en remplissant sa mission de collecte de données. D’autres sont destinés au combat ou au guidage de l’artillerie. Les micro-drones quadcoptères (avec quatre hélices) sont utilisés par les armées russe et ukrainienne pour « nettoyer » une tranchée en larguant des grenades à la verticale des combattants ciblés, avec une précision centimétrique. Ces drones sont souvent des drones commerciaux industriels transformés en lance-grenade, via un système rudimentaire porteur de charges. Certains peuvent agir en mode totalement automatique, assurer seuls une mission sur une cible et revenir. D’autres engins doivent toujours être sous le contrôle d’un télépilote, à une distance plus ou moins importante. Le « Black Hornet » étant le plus petit d’entr’eux est un micro-drone de reconnaissance, ressemblant à un hélicoptère mais il ne mesure que 10 cm et pèse 30 g. Les Américains le vendent 40 000 dollars, mais les Chinois viennent d’en mettre une version inspirée sur le marché à 130 dollars ! Pour ce prix, il ne pèse que 20 g de plus que l’original, est à peine plus grand, et offre presque les mêmes performances… La baisse des prix des drones et robots civils va produire une forte dissémination dans tous les domaines d’activités. Donc, en ce qui nous concerne, l’utilisation des drones Kamikazes ne doit pas être l’apanage de la PNH mais, celui des FAdH. Et les autorités haïtiennes ont intérêt à intensifier leurs frappes de drones pour empêcher à l’ennemi de respirer et de s’organiser sinon la riposte risque de faire mal à la population.

Pour la puissance aérospatiale, jouer son rôle à chaque étape du triptyque « compétition–contestation–affrontement » implique de posséder des armes et des équipements de haute technologie. Ainsi, afin d’éviter tout déclassement stratégique, il semble indispensable de capitaliser sur les atouts que confèrent les drones sans en complexifier l’emploi notamment sur le plan réglementaire. Le choix d’un juste équilibre entre plateformes habitées et pilotées à distance permettra aux décideurs politiques de disposer d’une gamme d’options militaires renforcée.


Shizneider BAPTISTE
Spécialiste en Relations internationales
Analyste en Stratégie internationale (Sécurité & Défense)
Directeur du Think Tank Intelligence Diplomatique et Stratégique
shizneider@gmail.com

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