19 mai 2025

Quand le Kompa aurait pu conquérir le monde : le rêve brisé entre Fabrice Rouzier, Joé Dwèt Filé et Burna Boy

Le kompa, essence musicale d’Haïti, avait trouvé dans « 4 Kampé » une rampe vers de nouveaux horizons. Ce qui aurait pu devenir une célébration mondiale de l’héritage haïtien se transforme aujourd’hui en une bataille juridique opposant Fabrice Rouzier, monument du kompa, à Joé Dwèt Filé et Burna Boy.

Une célébration qui tourne au désenchantement

À l’automne 2024, Joé Dwèt Filé dévoile « 4 Kampé », une chanson teintée de kompa qui enthousiasme toute la communauté haïtienne. Avec son aura internationale grandissante, le jeune artiste franco-haïtien semblait offrir au kompa une visibilité inédite.
Parmi les premiers à saluer cette initiative : Fabrice Rouzier, figure respectée du patrimoine musical haïtien. Fier, il voyait là une passerelle entre générations et cultures.

Mais derrière cette euphorie, des tensions naissent rapidement. Fabrice Rouzier estime que « 4 Kampé » reprend sans autorisation des éléments fondamentaux de sa chanson « Je Vais » (4 KAMPE), enregistrée en 2002 sur le projet « Haïti Troubadour » : la trame musicale, l’esprit du morceau, et même certains textes emblématiques.

Dans un premier temps, Rouzier tente l’approche diplomatique : une lettre est envoyée à l’équipe de Joé Dwèt Filé, espérant ouvrir un dialogue ou envisager une collaboration. Mais le silence persiste.

Une blessure aggravée par un second affront

À la surprise générale, un nouveau remix intitulé « 4 Kampé II », en featuring avec la superstar nigériane Burna Boy, est dévoilé en mars 2025. Ce geste est perçu comme une provocation de plus par Rouzier, qui voit son œuvre à nouveau exploitée sans reconnaissance.

Face à l’absence de réponse et aux développements récents, Fabrice Rouzier décide de saisir la Cour fédérale du district Est de New York. Sa plainte accuse Joé Gilles (Joé Dwèt Filé), Damini Ogulu (Burna Boy) et Daniel Fils Aimé (Tonton Bicha) d’avoir illégalement utilisé « Je Vais » dans les chansons « 4 Kampé I » et « 4 Kampé II ».

L’héritage de « Je Vais » : entre tradition et modernité

Il est important de rappeler que « Je Vais » est à l’origine une chanson traditionnelle haïtienne, popularisée par le groupe mythique « Les Frères Dodo ». En 2002, Fabrice Rouzier, via son projet « Haïti Troubadour », en propose une reprise moderne, agrémentée d’un interlude humoristique : un prêche inspiré du style de Coupé Cloué, racontant une célèbre blague du comédien « Ti Bato » intitulée « 4 Kampé », brillamment interprétée par Tonton Bicha, alors au sommet de sa popularité grâce notamment au film « I Love You Anne ».

Dans la plainte, Rouzier poursuit également Tonton Bicha, qui a récemment performé aux côtés de Joé Dwèt Filé à New York. Tonton Bicha aurait admis recevoir des royalties pour sa participation, bien que son rôle initial dans l’œuvre de 2002 reste flou en termes de droits d’auteur — ce qui alimente encore la frustration de Rouzier.

Un rêve d’unité qui s’effrite

Au sein de la communauté haïtienne, l’affaire suscite tristesse et regrets. Beaucoup y voient une occasion manquée de bâtir des ponts entre la diaspora et les maîtres du kompa, à un moment crucial où les musiques afro-caribéennes connaissent un élan mondial.
« C’était une occasion en or de propulser notre culture, notre musique, notre fierté », déplorent des mélomanes et observateurs haïtiens.

D’autres appellent toujours à la réconciliation, espérant qu’un accord soit trouvé avant que la justice n’entérine une fracture irréversible.

Un contexte global de tensions musicales

Ce litige s’inscrit dans une tendance plus large : récemment, Davido, autre géant de l’Afrobeats, a également fait l’objet d’une plainte similaire aux États-Unis.
La multiplication de ces affaires soulève des questions urgentes sur la protection des musiques traditionnelles dans un marché mondial avide de nouveautés.

Défendre l’héritage tout en construisant l’avenir

Au-delà des enjeux juridiques, c’est l’identité culturelle haïtienne qui est en jeu. Comment protéger l’héritage musical tout en favorisant son rayonnement planétaire ?
Fabrice Rouzier affirme défendre la dignité et le droit d’auteur de sa création. Pourtant, nombreux sont ceux qui espèrent que la musique haïtienne continuera de grandir non par les tribunaux, mais grâce à des alliances créatives.

Car, au fond, le rêve demeure : voir le kompa conquérir la planète sans jamais trahir ses racines.

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