Un nouvel épisode s’est ajouté à la saga autour de la dette d’Haïti envers le Venezuela, mettant en lumière des désaccords notables entre les médias et les experts. Lakayinfo.com et Frantz Icart se sont retrouvés en désaccord sur l’interprétation des récents développements concernant cette dette controversée.
L’affrontement a commencé avec un article publié sur Lakayinfo.com, affirmant que le Venezuela avait annulé la dette d’Haïti, ce qui aurait mis fin à des manipulations politiques et médiatiques autour de cette question. Cependant, Frantz Icart, spécialiste de ces questions, a rapidement réfuté cette affirmation, apportant des clarifications importantes sur la situation réelle de la dette.
Icart a souligné que les informations fournies par Lakayinfo.com étaient incomplètes et basées sur des interprétations erronées. Il a notamment mis en lumière le fait que d’autres médias, tels que Le Nouvelliste et Haïti Libre, n’avaient fait aucune mention de l’annulation de la dette du fonds PetroCaribe d’Haïti, mais plutôt de négociations en cours pour sa restructuration.
De plus, Icart a mis en garde contre la minimisation des responsabilités des personnes impliquées dans la mauvaise gestion des ressources du fonds PetroCaribe. Il a souligné l’importance de garantir que les fonds soient utilisés de manière transparente et responsable, plutôt que d’être détournés à des fins politiques ou personnelles.
Enfin, Icart a insisté sur le besoin de transparence totale concernant les transactions financières entre Haïti et le Venezuela, soulignant que les chiffres avancés par Lakayinfo.com ne correspondaient pas aux données officielles fournies par les institutions haïtiennes. Il souligne également la nécessité d’une transparence totale dans la gestion des ressources publiques, afin d’éviter tout soupçon de corruption ou de manipulation.
L’article de Frantz Icart
Dans un article paru le 23 février 2024, Le Nouvelliste citait une dépêche de l’agence Reuters dans laquelle cette dernière indiquait que « le Venezuela avait reçu un paiement de 500 millions de dollars d’Haïti pour la fourniture de carburant à l’île dans le cadre d’un accord de coopération régionale, selon ce qu’a déclaré le ministère de l’Information du pays. » Le Nouvelliste avait de plus mentionné que « le paiement de ces 500 millions de dollars représente presque un tiers du budget d’Haïti pour cet exercice fiscal » (2023-2024).
De son côté, Haïti Libre a indiqué sur son site Internet que « Freddy Náñez, le vice-président de la Communication du Gouvernement Venezuelien, a rapporté avec satisfaction l’achèvement du processus de recouvrement d’une dette d’un montant de 500 millions de dollars payé par Haïti, provenant de la fourniture d’hydrocarbures à ce pays dans le cadre de l’accord de coopération énergétique Petrocaribe. »
Cependant, un article paru sur le site Internet Lakayinfo.com titrait : « Le Venezuela annule la dette d’Haïti : fin des manipulations politiques et médiatiques. – » L’auteur de cet article a confirmé que « le paiement de 500 millions de dollars par Haïti a permis d’annuler la dette totale accumulée qui s’élevait à 2,3 milliards de dollars. » Il a aussi « rappelé qu’en 2010 le président Hugo Chávez avait déjà annulé une dette d’un milliard de dollars pour Haïti. » Toujours d’après lui, « puisque le Venezuela a annulé la dette du fonds Petrocaribe d’Haïti, cela met un terme aux discours politiques et à la manipulation médiatique qui entouraient cette question. Ces pratiques consistaient à affirmer que cette dette serait transmise de génération en génération et à l’utiliser comme un outil politique contre les adversaires. »
Je ne sais pas d’où l’auteur de l’article tient ses informations. J’aimerais cependant attirer son attention sur les points suivants :
1) Je constate que les articles publiés par Le Nouvelliste et Haïti Libre ne font aucunement mention de l’annulation de la dette du fonds PetroCaribe d’Haïti. De plus, cinq jours après avoir publié leurs articles, soit le 28 février 2024, ces deux médias signalaient que « le gouvernement haïtien avait confirmé dans un communiqué l’existence de négociations confidentielles avec le Venezuela en vue de la restructuration de la dette contractée dans le cadre du programme Petrocaribe et d’autres projets de coopération. » Donc, il n’est nullement question de l’annulation de cette dette.
2) Quand bien même le Venezuela annulerait le solde de cette dette pour Haïti, ceux qui ont détourné et/ou gaspillé les ressources de ce fonds doivent être tenus responsables de leurs actes et en assumer pleinement les conséquences. D’ailleurs, Le Nouvelliste souligne dans son article que « le paiement de ces 500 millions de dollars représente presque un tiers du budget d’Haïti pour cet exercice fiscal. » De plus, faut-il rappeler qu’Haïti commençait déjà à rembourser cette dette avant le paiement de ces 500 millions de dollars? Par conséquent, l’auteur de l’article sur le site Internet de Lakayinfo.com ne trouverait-il pas, malgré tout, que ces dilapidateurs ont commis un acte tout à fait irresponsable, voire criminel?
3) Il est aussi important de signaler ceci : le Venezuela a peut-être déjà recouvré une bonne partie de cette dette par les procédés suivants :
a) Par le biais du « contrat signé le 21 décembre 2009 entre le BMPAD et la firme ESD Engineering & Service SRL pour un montant de 889 434 dollars par mois, ce qui correspond à 10,7 millions de dollars par an pour l’entretien et le fonctionnement des trois « centrales bolivariennes » établies au Cap-Haïtien, aux Gonaïves et à Port-au-Prince » (voir le document intitulé : Éléments pour comprendre le rôle du ministre de l’Économie et des Finances dans la mise en œuvre de l’Accord PetroCaribe en Haïti, publié par Wilson Laleau, le 21 juillet 2016, p.11-12). Remarquez qu’une filiale de PDVSA, appelée PDV Caribe avait géré le processus d’appel d’offres menant au choix de la firme ESD Engineering & Service SRL imposée à Haïti. Toujours d’après M. Wilson Laleau, « le ministère de l’Économie et des Finances (MEF) avait autorisé les décaissements à l’opérateur ESD pour son implantation. Il était prévu que ce contrat serait cédé à la société mixte, une fois créée, qui serait alors responsable de rembourser au BMPAD les coûts supportés » (voir le document intitulé : Éléments pour comprendre le rôle du ministre de l’Économie et des Finances dans la mise en œuvre de l’Accord PetroCaribe en Haïti, publié par Wilson Laleau, le 21 juillet 2016, p.11-12).
b) De plus, la société mixte appelée Société d’Investissement Pétion Bolivar SAM dont M. Laleau a fait mention dans son document fut créée le 30 mai 2012 (document mentionné ci-haut, p.12, para.4.5). M. Laleau indique que « cette société mixte Haïti-Venezuela dont le Venezuela est majoritaire devait prendre en charge les opérations des trois centrales bolivariennes. Elle devait aussi gérer le contrat de vente d’énergie avec l’EDH. Cette société mixte devait finalement assumer en partie la charge de la dette à long terme selon les termes de l’Accord PetroCaribe. » Non seulement, il n’y a aucune évidence du remboursement du montant que cette société mixte doit au fonds PetroCaribe, mais encore toutes les responsabilités qui auraient dû lui revenir furent en fait imposées au BMPAD dans le protocole d’accord signé le 4 septembre 2015 entre le MEF, le MTPTC, l’EDH et le BMPAD (voir document de Wilson Laleau, p.12, para.4.6).
4) Il ne faut pas non plus minimiser la portion comptant de la dette que le BMPAD devait payer au Venezuela dans un délai de 90 jours suivant la réception des cargaisons. Cette partie appelée « partie cash » à payer par le BMPAD s’élevait à $1 978 802 105,56 (voir Rapport 1 de la CSC/CA sur PetroCaribe, p.28-29, Tableau 2 et para.29). Puisqu’elle devait être remboursée dans un délai ne dépassant pas 90 jours, même si le BMPAD n’a pas indiqué le montant exact de cette somme qu’il a remboursé au Venezuela, il est probable qu’une partie importante ou même l’intégralité de ce montant ait été versée au Venezuela. Je n’ai pas cette information pour l’instant, car les gouvernements qui se sont succédé en Haïti n’ont jamais fourni toutes les informations au grand public concernant la gestion de l’Accord PetroCaribe de sa signature à aujourd’hui. D’ailleurs, il est rapporté que l’actuel gouvernement n’a pas confirmé ni nié le paiement des 500 millions de dollars dont les agences de presse Bloomberg et Reuters ont fait mention en citant un officiel de l’État du Venezuela. Une autre preuve de la non-transparence des dirigeants haïtiens dans ce dossier est que Le Moniteur confirme que « l’Accord de Coopération énergétique PetroCaribe signé le 15 mai 2006 n’a pas été publié dans le Journal Officiel. » (Voir le document intitulé Compilations Textes relatifs aux Fonds PetroCaribe 2006 – 2018, p.13; préparé et publié par Le Moniteur sur demande de l’ex-Premier ministre Jean-Henry Céant.
5) L’auteur de l’article sur le site Internet de Lakayinfo.com a aussi « rappelé qu’en 2010 le président Hugo Chávez avait déjà annulé une dette d’un milliard de dollars pour Haïti. » Cependant, le Rapport 1 de la Cour Supérieure des Comptes et du Contentieux administratif (CSC/CA) sur PetroCaribe intitulé Audit spécifique de gestion du fonds PetroCaribe, publié le 31 janvier 2019, mentionne que, « suite au séisme de 2010, le Venezuela a annulé officiellement le montant de 395 000 000,00 dollars (USD) de dette de la République d’Haïti » (Rapport 1 de la CSC/CA, p.29, para.30). Quant au rapport publié en octobre 2017 par la Commission sénatoriale spéciale d’enquête (CSSE) sur le fonds PetroCaribe, le montant de la dette qui fut annulé s’élevait à 396 073 224,00 dollars (USD) (Rapport de la CSSE, p.9). Je vous fais remarquer la différence entre le montant indiqué par la CSC/CA et celui de la CSSE qui sont pourtant deux institutions de l’État. Cependant, il est évident que l’un ou l’autre de ces deux montants est très loin de la somme d’un milliard de dollars indiquée par l’auteur de l’article sur le site Internet de Lakayinfo.com. Il faudrait qu’il confirme la dette à laquelle il faisait allusion.
Donc, non seulement il n’est nullement question de l’annulation de la dette PetroCaribe mais plutôt de sa restructuration, mais aussi le Venezuela a peut-être déjà recouvré une bonne partie de son argent à travers les paiements déjà effectués par Haïti et par le biais des deux procédés mentionnés aux paragraphes a et b de cet article. Pour toutes ces raisons et aussi parce qu’elle repose sur des données et informations non corroborées et partielles, je suis en parfait désaccord avec la conclusion de l’article paru sur le site Internet Lakayinfo.com qui mentionne que : « Le Venezuela a annulé la dette du fonds Petrocaribe d’Haïti, cela met un terme aux discours politiques et à la manipulation médiatique qui entouraient cette question. Ces pratiques consistaient à affirmer que cette dette serait transmise de génération en génération et à l’utiliser comme un outil politique contre les adversaires. » Je suis quant à moi convaincu que tous ceux qui ont détourné et/ou gaspillé les ressources de ce fonds doivent être tenus responsables de leurs actes et en assumer pleinement les conséquences.
Frantz Icart