4 octobre 2024

Lors du débat télévisé du 10 septembre, opposant Donald Trump à Kamala Harris, une séquence a capté l’attention par son absurdité. Le candidat républicain, dans une énième tentative de discréditer la vice-présidente sur son bilan migratoire, a servi un discours teinté de xénophobie : « À Springfield, ils mangent les chiens, les chats, les animaux domestiques des habitants », a-t-il lancé, sous le regard amusé de son adversaire. Pourtant, les autorités locales ont rapidement démenti : aucune preuve tangible ne corrobore les dires de Trump.

Cette rumeur, relayée depuis plusieurs jours par les cercles d’extrême droite, avait déjà envahi les réseaux sociaux, attisée par les figures pro-Trump comme Elon Musk. Sous couvert de défense des animaux, cette narrative tentait de dépeindre la communauté haïtienne, récemment arrivée à Springfield, comme barbare et menaçante. Mais comment une telle accusation, à la fois extrême et infondée, a-t-elle pris racine dans le paysage politique américain, jusqu’à devenir un argument de campagne ? Retour sur l’émergence d’une rumeur, amplifiée par l’extrême droite.

Une stratégie raciste, savamment orchestrée

L’histoire remonte à 2014, dans le contexte de la ville de Springfield, Ohio. Comme de nombreuses autres villes du Midwest américain, Springfield a souffert de la désindustrialisation et du déclin démographique. Le programme « Welcoming America », lancé sous l’administration Obama, cherchait à pallier ce manque de main-d’œuvre en accueillant des travailleurs étrangers. La ville, qui comptait alors 60 000 habitants (contre 83 000 en 1960), avait désespérément besoin d’un renouveau démographique.

Puis vint l’assassinat de Jovenel Moïse en Haïti, en 2021, qui plongea le pays dans une crise profonde, poussant des dizaines de milliers d’Haïtiens à fuir vers l’Amérique. La politique migratoire de Joe Biden a ouvert les portes à 30 000 réfugiés supplémentaires chaque mois, dont de nombreux Haïtiens, alimentant une vague d’arrivées à Springfield. Cette population, estimée entre 4 000 et 20 000 personnes, a redynamisé la ville. Ils travaillaient dans des usines d’assemblage automobile, des chaînes d’emballage et dans la distribution postale, jouant un rôle clé dans la revitalisation économique de la région. Cependant, cet afflux n’a pas été sans heurt : l’infrastructure scolaire et hospitalière, déjà sous pression, peinait à suivre.

C’est dans ce contexte qu’émerge la rumeur. À l’été 2023, un drame secoue Springfield : un Haïtien en situation régulière provoque un accident de bus scolaire mortel. L’extrême droite, toujours prompte à utiliser la tragédie pour alimenter ses thèses, s’empare de l’incident pour critiquer la politique migratoire de Biden. L’immigré devient, dans les récits des médias conservateurs, un symbole de la menace que poseraient ces nouveaux venus. À partir de là, le récit déraille, et des faits divers anodins se transforment en une campagne raciste.

Entre réalité et fiction : la montée d’une rumeur virale

En août 2023, un étrange fait divers émerge dans la ville de Canton, Ohio. Une femme est arrêtée pour avoir mangé un chat domestique. Cette arrestation, bien qu’éloignée de Springfield et sans lien avec la communauté haïtienne, est rapidement associée à celle-ci par les propagateurs de fausses informations. À partir de ce moment, les rumeurs s’accélèrent : des Haïtiens seraient responsables de la disparition de canards, d’oies et même de chiens. Un youtubeur local, connu pour ses vidéos de canulars, se joint au concert de la désinformation, affirmant que des migrants capturent des canards dans les parcs pour les manger.

Le paroxysme de cette hystérie collective est atteint début septembre, lorsque des partisans de Trump commencent à générer des images grâce à l’intelligence artificielle, où l’ancien président est représenté comme un défenseur héroïque des animaux. Il chevauche des chats géants ou porte tendrement des chatons, dans des mises en scène surréalistes destinées à amplifier le message raciste.

Le point culminant : Trump en débat

C’est dans ce climat de tensions et de mensonges que Donald Trump, lors du débat face à Kamala Harris, reprend à son compte la rumeur infondée de Springfield. Devant des millions de téléspectateurs, il prétend que les Haïtiens mangent les animaux domestiques des habitants. Son objectif est clair : attiser les peurs, détourner le débat migratoire vers des stéréotypes grotesques et xénophobes.

David Muir, le coanimateur du débat, ne tarde pas à réagir en démentant catégoriquement cette accusation. Pourtant, le mal est fait : la rumeur continue de circuler sur les réseaux sociaux, amplifiée par des comptes pro-Trump, devenant un élément central de la campagne du candidat républicain.

Une manipulation de masse, instrumentalisée par l’extrême droite

À travers cette rumeur, l’extrême droite américaine met en lumière sa capacité à manipuler les faits pour construire un récit porteur de division et de haine. En ciblant la communauté haïtienne, elle joue sur des ressorts racistes profondément ancrés dans une partie de l’opinion publique, cherchant à renforcer un climat de peur et d’insécurité.

Pour Donald Trump, il ne s’agit pas seulement d’une simple campagne électorale : c’est une véritable croisade pour rallier son électorat autour d’un nationalisme exacerbé. À l’image de ses déclarations sur les migrants mexicains en 2016, il poursuit sa stratégie de déshumanisation des populations étrangères, en les présentant comme des menaces directes à la sécurité et aux valeurs américaines.

L’histoire des Haïtiens accusés de manger des animaux domestiques dans l’Ohio illustre parfaitement la mécanique de la désinformation. À partir d’anecdotes isolées et de rumeurs sans fondement, un récit toxique est construit et diffusé à grande échelle, alimentant les préjugés et renforçant la polarisation politique.

Une fois encore, la vérité devient la première victime dans une campagne où la manipulation règne en maître.

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