27 avril 2025

Le gouvernement américain, qui avait soutenu l’arrivée de Michel Martelly (Sweet Micky) à la tête du pouvoir en Haïti, a annoncé ce mardi 20 août une série de sanctions visant l’ex-président haïtien Michel Martelly, l’accusant d’implication dans le trafic de drogues et d’avoir joué ainsi un rôle « important » dans la crise politique et sécuritaire qui frappe ce pays des Caraïbes.

Président entre 2011 et 2016, Michel Martelly est accusé par Washington d’avoir « créé un environnement permettant les activités de trafic de drogue et fait du pays un point de transit pour les drogues illicites entrant aux États-Unis », a justifié le département du Trésor dans un communiqué. « Les décisions à l’encontre de M. Martelly mettent en lumière le rôle important et déstabilisateur qu’il, et d’autres membres corrompus de l’élite politique, ont joué dans la perpétuation de la crise actuelle en Haïti », a dénoncé le sous-secrétaire par intérim en charge du Terrorisme et du Renseignement financier, Bradley Smith, cité dans le communiqué.

Pour rappel, dans un long entretien avec le journaliste Arnaud Robert pour Ayibopost, en juillet 2018, l’ancien directeur de la Police Nationale d’Haïti, Mario Andrésol, avait fait des révélations sur l’ancien président de la République, Michel Joseph Martelly et deux anciens sénateurs. L’ancien directeur de la PNH décrit une police vassalisée par le pouvoir politique et laminée par la corruption au plus haut niveau. La Police Nationale d’Haïti a été créée en 1995 pour remplacer les Forces Armées d’Haïti qui assuraient les fonctions de police. Mario Andrésol, militaire de formation, a occupé plusieurs postes au sein de l’institution depuis sa création avant de partir en exil en 2001. Il prend la tête de la PNH le 22 juillet 2005 sous le gouvernement de transition du président Alexandre Boniface et du Premier ministre Gérard Latortue. La PNH vient alors tout juste de fêter ses dix ans d’existence, elle a l’image d’une institution fortement corrompue, alors qu’elle ne compte qu’un peu plus de 4000 policiers.

« J’étais commissaire de Pétionville. Auparavant, il (Martelly) travaillait pour des Colombiens, il transportait de la drogue. Donc, il s’est constitué un réseau dont Sonson La Familia et les autres qui s’agglutinaient autour de lui. Il y avait Fourcand qui est aujourd’hui sénateur du Sud. J’ai détruit au moins cinq kilomètres de pistes dans la zone de Côtes-de-Fer, la ville de Martelly. Je savais qu’il travaillait pour des Colombiens et ces hommes avaient une marina à Lully. Une fois qu’il est arrivé au pouvoir, il a investi et s’est approprié la marina. Parce qu’en général, c’est à la marina qu’ils allaient se cacher, ils l’utilisaient comme une position de transit en face de la Côte des Arcadins. Les petits bateaux disparaissaient dans ces zones-là. De la même façon à Losandieu à Côtes-de-Fer, dans la Grosse Cayes. »

Le département du Trésor estime que, plus largement, une part importante de la classe politique, ainsi que des entrepreneurs, a participé au trafic de drogue, notamment en s’appuyant ou en soutenant des gangs.

Interdiction de se rendre aux États-Unis

Les sanctions américaines concernent le gel de l’ensemble des avoirs détenus directement ou indirectement par Michel Martelly aux États-Unis, ainsi que l’interdiction pour toute personne ou entreprise américaine de faire affaire avec lui. Les sanctions incluent également l’interdiction pour l’ancien président de se rendre aux États-Unis, où les élites haïtiennes vont très régulièrement, selon le département d’État.

Une crise qui dure

Ces derniers mois, les violences à Port-au-Prince ont provoqué une grave crise humanitaire, le pays comptant, selon l’ONU, près de 600 000 déplacés. Contrôlant 80 % de la capitale et des grands axes du pays, les bandes armées sont accusées de nombreux meurtres, viols, pillages et enlèvements contre rançon, une situation qui s’est aggravée en début d’année, lorsqu’elles ont décidé d’unir leurs forces pour renverser l’ancien Premier ministre très contesté Ariel Henry. Depuis sa démission, des autorités transitoires ont été mises en place pour s’atteler à remettre le pays sur pied, avec l’appui d’une force multinationale menée par le Kenya, une mission soutenue par l’ONU dont la tâche sera immense.

États-Unis et pouvoir en Haïti : une relation sulfureuse

En 2010, suite au séisme qui a saccagé Haïti et fait plus de 250 000 morts, l’ancien président américain, William Jefferson Clinton (Bill Clinton), fit un aveu surprenant devant la Commission des affaires étrangères du Sénat américain. Dans une déclaration teintée de grande sensibilité, il endossa la responsabilité de ce que des millions d’Haïtiens meurent de faim aujourd’hui, pour avoir forcé l’État haïtien à adopter des mesures de dérégulation commerciale dévastatrices pour l’économie du pays.

« Cette décision a peut-être été profitable à quelques agriculteurs de l’Arkansas, mais elle n’a pas marché, admit-il. Ce fut une erreur. J’ai dû vivre tous les jours avec ce remords de la baisse de la capacité de production de riz capable de nourrir le peuple haïtien. Tout cela, à cause de ce que j’ai fait. »

Bill Clinton est le président américain sous l’administration duquel la deuxième occupation américaine d’Haïti s’était renforcée en 1994 avec l’intervention de 22 000 marines après que les États-Unis, sur demande de l’ancien président Jean-Bertrand Aristide, imposèrent l’embargo dévastateur qui décima la classe moyenne et accéléra la paupérisation des masses. Curieusement, un an après le séisme dévastateur de 2010, le président Michel Martelly décora Bill Clinton de la médaille la plus prestigieuse de l’État haïtien.

On comprend plus tard le sens de cette distinction, lorsque le site arabe Al Jazeera révéla que l’agence américaine USAID finança l’élection de Martelly en 2010. D’ailleurs, en Haïti, on cerne fort mal l’intérêt de la cheffe de la diplomatie américaine d’alors, Hillary Clinton, qui fit personnellement le voyage pour décider de l’issue du scrutin. L’actuel président du Conseil électoral provisoire, juge du CEP qui organisa les élections de 2010, Pierre Louis Opont, a d’ailleurs confirmé qu’effectivement les résultats proclamés en 2011 n’ont pas été ceux du conseil électoral. Ne s’agit-il pas d’un retour d’ascenseur, lorsque l’un des deux contrats miniers accordés par Haïti depuis plus de 50 ans bénéficie à la compagnie du frère de Hillary Clinton ?

Une tradition d’ingérence

Il faut rappeler que la USAID n’est pas à son premier coup d’essai dans l’exercice de l’ingérence en Haïti. Le journal Le Monde diplomatique révèle par exemple que l’agence a dépensé 36 millions de dollars pour que l’ancien fonctionnaire de la Banque Mondiale, Marc Bazin, remporte les élections de 1991 au détriment du populaire leader des masses d’alors, Jean-Bertrand Aristide.

Les sanctions prises par les États-Unis et d’autres pays contre des personnalités ou des chefs de gangs en Haïti ont toutefois un impact « extrêmement limité », selon l’ONU. Début juillet, Washington a appelé à renforcer les sanctions contre les gangs dans le pays et celles prises à l’encontre de Michel Martelly sont la suite d’une longue liste qui peine encore à s’appliquer en Haïti tant la justice répond aux abonnés absents sur la terre de Dessalines.

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